Black Lives Matter : aspirations à l’égalité.

La mort de Georges Floyd le 25 mai 2020 a semé un vent de révolte partout dans le monde. Cette affaire a été le catalyseur d’une colère qui porte un nom : Black Lives Matter. Si les histoires des minorités raciales sont différentes selon le contexte de chaque pays, ces mouvements de protestations montre que la réalité vécue par ces population est parfois très proche. Quand un noir a 2,8 fois plus de risque d’être tué par la police qu’un blanc au Etats-Unis, les jeunes perçus comme noir ou maghrébins sont 20 fois plus contrôlés que les autres par la police française. Des inégalités qui s’ancrent plus profondément dans la société, mais qui sont de moins en moins supportés par les membres de celle-ci. « Nos parents, nos grands-parents n’ont pas pu faire grand chose parce que c’était plus fort. Maintenant, nous on doit être la nouvelle génération qui va changer les choses. » confiait Yasmine, 17 ans, à la caméra de L’Escargot lors de la manifestation Marseillaise le 6 juin 2020.

Vent de colère international

Depuis la mort de Georges Floyd lors de son interpellation par la police, des millions de personnes sont sortis battre le pavé partout dans le monde contre le racisme et les violences policières en répondant au même mort d’ordre : Black Lives Matter (La vie des Noirs compte). Il faut dire que les images de cet homme noir agonisant sous le genou d’un policier blanc en pleine rue, sont choquantes. Et elles nous rappellent qu’être noir aux États-Unis, c’est avoir 2,8 fois plus de risque qu’un blanc d’être tué par la police, alors qu’il arrive plus souvent aux noirs de ne pas être armés lors de l’interpellation. Alors la colère a explosé aux États-Unis, et elle s’est répandue. De Séoul à Copenhague en passant par Londres, Le Cap, Madrid, Auckland… Parfois violentes, comme à Minneapolis (ville où s’est produit le drame) où des émeutiers ont incendié le commissariat, parfois pacifiques à l’image de ces foules posant un genou à terre dans un silence  assourdissant, parfois symbolique à l’instar de ces statues de figures de l’esclavage ou du colonialisme, déboulonnées.
Paris, puis les autres grandes villes françaises, ont elles aussi été le théâtre d’expression d’un profond ressentiment ces derniers jours. Les commentateurs politiques français, alors quasi unanimes en faveur des protestations des jeunes afro-américains se sont affichés sous un jour plus mitigé lorsque le mouvement, répondant notamment à l’appel du collectif Justice pour Adma, a gagné la France. L’universalisme républicain à la française, qui jadis réprima violemment les identités culturelles régionales et qui aujourd’hui refuse de voir les inégalités raciales, se voit alors menacé. Certes, les États-Unis ne sont pas la France. La ségrégation ou l’esclavagisme d’outre-Atlantique n’est pas le colonialisme européen, les réalités historiques divergent. Alors les rapports sociaux actuels sont eux aussi bien différents. Mais pourtant les similitudes existent : « Ces minorités qui vivent dans des pays blancs en majorité, vivent les héritages de ces histoires, et donc il y a des ressentis communs » résume Pascal Blanchard, historien et auteur de « Décolonisation française, la chute d’un empire ». Le point d’orgue de ces réalités communes est la condition socio-économique. Que ce soit aux États-Unis, en France ou au Royaume-Uni par exemple, les populations urbaines les plus pauvres qui vivent en périphérie des grandes villes, sont principalement composées minorités raciales. « Les bavures policières, il faut plus qu’on se mente c’est une réalité. Ce n’est pas forcément vu par les personnes qui ne vivent pas dans les quartiers populaires, mais c’est vrai. Peu importe la couleur, aujourd’hui il faut que justice soit faite. » me lance Khady, 17 ans présente à la manifestation Marseillaise le 6 juin.

Selon les origines ethniques, des inégalités persistantes en France.

Ainsi avant de parler de dérives racistes, il convient en premier lieu de questionner le rapport de la police envers les populations les plus précaires parmi lesquelles la délinquance est inévitablement plus présente. Cependant, ne pas voir les dérives racistes de l’institution policière c’est nier une partie de la réalité. Une étude commandée en 2017 par le Défenseur des Droits montrait alors que les jeunes perçus comme noirs ou maghrébins ont une probabilité 20 fois plus élevée que les autres d’êtres contrôlés. Une décision de cette même autorité administrative datant cette fois de 2019, révélait l’existence de consignes illégales envoyées par la hiérarchie policière aux agents d’un arrondissement parisien. Le rapport faisait notamment état d’un email envoyé le 25 septembre 2012 qui demandait d’effectuer « des contrôles d’identités auprès de bandes de noirs et NA [Nords-Africains, ndlr.) qui traînent […] on peut les taper au contrôle (…) ce serait un plus pour les éventuelles procédures ultérieures. ». Enfin, une décision datant du 12 mai 2020 faisait état pour la première fois de « discriminations systémiques » au sein de la police française.   Linda Kebab, déléguée nationale du syndicat de Police Unité SGP-FO se défend de tout racisme dans la Police sur le plateau de Jean-Jacques Bourdin « pour preuve je suis aujourd’hui porte-parole de nombre de mes collègues et jamais on ne m’a opposé les origines ethniques ». Elle n’exclut pas pour autant qu’il y ait des cas individuels de racisme comme il en existe dans la société française, puisque « la police est à l’image de la société française ». Alors racisme systémique ou cas individuels de racisme ? La question fait débat, mais le sociologue Fabien Jobard explique dans les colonnes du Monde l’appellation de « racisme systémique » utilisé par le Défenseur Des Droits : « Il s’agit de dire que le racisme est détachable des individus pour être le fait d’une institution ou d’un système. Ici, le racisme est le produit d’un cumul de processus, notamment historiques, avec une histoire de la police fortement marquée par la guerre d’Algérie et la chasse aux travailleurs d’Afrique du Nord » Quoiqu’il en soit, le problème ne se limite pas à la sphère de l’institution policière. Une étude menée entre novembre 2018 et janvier 2019 et coordonnée par Yannick L’Horty, chercheur à l’université Paris-Est, montre qu’il existe des discriminations à l’embauche. 17 600 candidatures ont été envoyées, à chaque deux profils identiques : l’un avec un patronyme d’origine maghrébine, l’autre d’origine française. Résultat, 20% de chances en moins de recevoir une réponse à une offre d’emploi et 30% de chances en moins d’être recontacté après une candidature spontanée pour les profils avec un patronyme maghrébin.  Idem dans l’accès au logement : une étude menée en 2017 en France par le CNRS, prouve que les populations d’origines supposées africaine et maghrébines ont 26% de chance en moins que la moyenne de visiter un logement à louer.

Crise sans-précédent au sein de la police française

Concernant la police française, le débat sur le racisme n’est pas nouveau. En 1980, lors du journal télévisé d’Antenne 2, Coluche s’interrogeait : « Expliquez ce que les policiers foutent dans le dos des arabes avec un revolver à la main et à chaque fois ils tombent. Racontez-moi pourquoi, du moment qu’il y a une raison, moi je suis d’accord. Le problème c’est qu’il n’y a pas de raison, c’est ça le problème. Enfin il y en a une en fait oui : c’est que les policiers se croient extrêmement couverts. » Cette déclaration renvoie à un autre problème, celui de la sanction au sein de l’institution policière. L’IGPN, surnommé la police des polices est régulièrement accusée de blanchir les policiers. Le problème vient en partie de son manque d’indépendance, comme le montre le documentaire Gardiens de la paix réalisé par L’Escargot. Quant au débat concernant le racisme, au vu des dernières révélations du journal StreetPress, on peut affirmer qu’il existe bel et bien un problème à régler au sein de la Police Française. L’enquête menée ces dernières semaines prouve l’existence de deux groupes Facebook où plusieurs milliers de policiers s’échangent des messages racistes, sexistes et homophobes tout en ralliant allègrement les victimes de violences policières qui ont fait la une ces derniers temps.Des révélations similaires avaient déjà éclatées en décembre 2019, après qu’un policier de Rouen eut dénoncé les propos que tenaient ses collègues dans des messages audio d’une conversations Whats App :

« Je me dis que tous ces gens doivent crever, ça régénérera l’espèce humaine et surtout la race blanche. Quand une gonzesse s’offre à des nègres ou des bougnoules, je m’en bats les couilles si après elles se font butter. T’as voulu la couleur, tu payes la redevance», «T’es une merde de gauche tu mérites de mourir» , «Quand les féministes, les LGBT, les bougnoules, les juifs et les nègres qui ne sont pas musulmans vont commencer à se bouffer la gueule entre eux : tu regardes la télé, tu manges ton pop-corn, tu aiguises tes armes et quand ils sont bien affaiblis tu achèves les bêtes.»

Sous le poids accablant de ces dernières révélations, Christophe Castaner a donné une conférence de presse le 8 juin 2020, dans laquelle il annonçait deux mesures fortes : l’abandon de la clé d’étranglement comme méthode d’interpellation autorisée ainsi que la suspension immédiate lors de soupçon avéré de racisme. Deux mesures de réformes finalement abandonnées par l’Exécutif sous la pression des syndicats de police majoritaires reçus par le ministre de l’Intérieur le 11 juin dernier. Il faut dire que le terme « soupçon avéré » -qui n’a aucun sens en français- semait la confusion et pouvait laisser craindre la disparition de la présomption d’innocence fondamentale en droit français. Quant à l’abandon clé d’étranglements, les syndicats Alliance et UNITE-SGP déploraient la suppression d’une technique d’interpellation qu’ils ne jugent pas dangereuse, les limitant ainsi dans leur exercice… Une grande majorité de policiers font également part de leur épuisement à la suite de ces derniers mois, et réclament des millions d’heures impayées. Le syndicat minoritaire VIGI qui n’a pas été convié par Chirstophe Castaner, dénonce la confusion du gouvernement et appelle à la démission du Ministre de l’Intérieur. L’un des délégués de VIGI, Noam Anouar, avait été envoyé en Conseil de discipline par le ministère de la Place Beauvau après qu’il ait dénoncé des actes de racisme qu’il a subi dans différents services de la part de collègues.  

Ce mouvement mondial de protestations contre les pratiques policières intervient en effet au plus mauvais moment dans le contexte français. Depuis plusieurs mois l’institution policière est sous le feu des critiques après des scandales à répétition : la gestion très controversée de la crise des gilets Jaunes et des mouvements sociaux qui ont suivi[1], les décès de Steve Maia Caniço et Cédric Chouviat en juin 2019 et janvier 2020[2], les violences policières en banlieues durant le confinement[3] ,  l’affaire du « Bicot qui ne nage pas »[4], ou encore dernièrement la violente interpellation d’un enfant de 14 ans à Bondy[5]. Mais c’est surtout un énième rebondissement dans l’affaire Adama Traoré qui a permis une telle mobilisation[6]. C’est en réponse à l’appel du Collectif « Justice pour Adama » qu’entre 20 000 et 50 000 personnes s’étaient rassemblées le 2 juin devant le tribunal judiciaire de Paris. Le 13 juin, une nouvelle manifestation est organisée par le Comité Vérité pour Adama rassemblant 13 000 personnes selon la police et 129 000 selon les estimations du géomètre mapchecking.com. Ce dernier rassemblement avait alors été perturbé par des militants d’extrême-droite du groupe Génération Identitaire qui avait déployée une immense banderole et craqué des fumigènes sur le toit d’un immeuble parisien. En guise de provocation ultime, ils ont ensuite posté sur les réseaux sociaux un selfie tout sourire dans le fourgon de police après avoir été exfiltré sans menottes ni serreflexes.

La nouvelle génération issue des quartiers populaire à des choses à dire et il est urgent de les écouter. Cependant, la propension de plus en plus importante d’articuler le débat autour du terme « privilège blanc », importé des Etats-Unis, semble peu pertinente tant cela individualise la question du racisme. Ainsi il est non seulement culpabilisant mais surtout, il dépolitise la question du racisme en omettant les causes historiques et politiques de celui-ci. L’enjeu n’est pas d’inverser les rôles, mais de tendre collectivement vers un monde sans inégalités sociales, qu’elles soient de classes ou de races. C’est ce que l’essayiste et militante afroféministe Fania Noël-Thomassint formule en ces termes « Nous ne sommes pas intéressées par le changement de places. Ce que nous voulons, c’est qu’il n’y ait plus personne au bas de l’échelle ; que l’échelle disparaisse, d’ailleurs. ».

A voir ou à revoir le documentaire Gardiens de la Paix réalisé par L’Escargot en avril 2020 :

Dérives racistes de certains agents, techniques de maintiens de l’ordre et armes utilisées inappropriés, conditions de travail de plus en plus difficiles pour les policiers, manque d transparence et d’indépendance de hiérarchie policière… Tous les problèmes qui rongent la Police Française et dégrade sa relation avec l’ensemble des citoyens y sont expliqués. Avec le témoignage inédit de Xavier, père de famille et Gilet Jaune de Villefranche (69), qui a perdu son emploi suite à des multiples fractures au visages causées par un tir de LBD40.

[1] Le parlement européen a condamné la gestion française du maintien de l’ordre lors du mouvement des gilets jaunes en évoquant un « recours à des interventions violentes et disproportionnées par les autorités publiques lors de protestations et de manifestations pacifiques ».  L’ONU, a appelé les autorités françaises à enquêter sur les violences policières commises pendant les manifestations des « gilets jaunes ». La Ligue des Droits de l’Homme a déposé plusieurs recours au Conseil d’Etat contre l’utilisation du LBD40 qui a fait 25 éborgnés lors du mouvement des gilets jaunes.  

[2] Une opération de police controversée, lors de la fête de la musique le 21 juin 2019 à Nantes, pendant laquelle 14 personnes se sont retrouvées dans la Loire, avait entraîné la mort par noyade de Steve Maia Caniço. Cedric Chouviat était un livreur qui est décédé le 5 janviers 2020 48h après une interpellation policière. Celle-ci faisait suite à un banal contrôle routier pendant le temps de travail de M. Chouviat.

[3] De nombreux habitants des quartiers populaires ont dénoncé des violences policières pendant le confinement, vidéos à l’appui.

[4] Le 26 avril, à deux heures du matin, à L’Île-Saint-Denis (93), un homme poursuivi par la police s’est jeté dans la Seine. Selon une vidéo tournée par un témoin, l’homme, une fois repêché, a fait l’objet d’insultes racistes et de violences policières. « Un bicot comme ça, ça ne nage pas » ou encore  » Ahah ! Tu aurais dû lui accrocher un boulet au pied ! »

[5] Dans la nuit du 25 au 26 mai, Gabriel Djordjevic s’est fait interpeller par les forces de l’ordre à Bondy. C’est à l’hôpital que sa famille le retrouvera, souffrant entre autres, d’un traumatisme facial et crânien.

[6]LE 29 mai 2020, une nouvelle expertise exonère les gendarmes dans la mort d’Adama Traoré. Une contre-expertise demandée par la famille d’Adama Traoré et rendue publique le 2 juin estime que le plaquage ventral opéré par les gendarmes lors de l’arrestation du jeune homme il y a quatre ans est à l’origine de sa mort.

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