Bas les masques : « Je ne comprends pas comment a-t-on pu en arriver là, un pays comme le nôtre.»

Pas de masque pour les soignants

Vous le savez, nous vivons en ce moment, probablement la plus grosse crise sanitaire de ces dernières années. En ce samedi 21 mars 2020, l’épidémie de Coronavirus, a déjà fait plus de 11 000 morts dans le monde dont plus de 5000 en Europe[1]. . La France n’est pas épargnée, plus de 12 000 cas sont recensés à l’heure où je vous écris ces lignes, et 450 personnes sont déjà décédées. Or, si le COVID-19 a commencé de circuler en Chine, puis dans l’Asie du Sud-Est qui a été énormément touchée, l’épicentre s’est désormais déplacé en Europe. Les projections quant à l’évolution divergent, mais il semblerait que nous ne soyons qu’au début de l’épidémie en France, puisque le pic est attendu d’ici une à deux semaines. Or, la situation semble d’ores et déjà incontrôlable. Si le comportement de certains, ne respectant pas les règles de confinement est à déplorer , la détresse de l’ensemble du corps médical est alarmante.

« Je ne comprends pas comment a-t-on pu en arriver là, dans un pays comme le nôtre. Je suis atterré et très en colère. Nous sommes dans le pays où il y a les plus grands services hospitaliers […], et nous n’avons pas de masque. […] Il y a dix ans, il y avait un milliard de masques disponibles, il y en a quasiment plus. C’est une situation folle, des médecins, des infirmières, toutes ces personnes qui vont à domicile aider les personnes âgées à faire leur toilette, à manger… Ils n’ont pas de masques ! […] Comment on a pu en arriver là ? Comment ceux qui nous gouvernement depuis des années ont laissé faire ? Il faudra qu’on en parle.» [2]

"Il y a 10 ans, il y avait un milliard de masques disponibles. Il n'y en a quasiment plus. Comment ceux qui nous gouvernent au fur et à mesure des années qui sont passées ont laissé faire?"
Le Professeur @philippejuvin au JT de TF1 ce soir sur l'hallucinante pénurie de masques. pic.twitter.com/6t9PIAbDYx
— Jean Louis (@JL7508) March 19, 2020

C’est ce que déclarait jeudi 19 mars au 20H de TF1, Philippe Juvin le chef du service des urgence de l’hôpital Georges Pompidou à Paris. Des médecins sont même allés jusqu’à porter plainte contre l’Etat, au vu du manque de moyens qui leur sont alloués, eux qui se trouvent en première ligne face au Coronavirus[3] . Alors certes, le gouvernement commandé en urgence 200 millions de masques. Mais le virus a été détecté en France dès le 24 janvier, et de nombreux scientifiques envisageaient le risque épidémique depuis plus d’un mois[4].

Sarkozy et Hollande ont réduit le stock de matériel médical

La première raison de cette pénurie remonte donc à l’année 2011 comme l’indique Philippe Juvin. À cette époque, nous sortons d’une autre crise sanitaire : la grippe H1N1. La mauvaise gestion de cet épisode a provoqué un gaspillage énorme : seulement 6 millions de vaccins sont utilisés sur les 94 millions commandés… Le stock de masques FFP2 qui nous fait actuellement défaut, ne sera alors pas renouvelé en vue de faire des économies pour compenser ces pertes. En 2015, le Sénat publie un rapport qui détaille précisément la gestion des stocks nationaux de produits médicaux. L’EPRUS qui gère ces stocks est créé en 2007. Cet établissement est co-financé par l’Etat via les impôts, et par l’Assurance Maladie via les cotisations sociales. Or, à partir de 2011 les gouvernements successifs de Sarkozy puis Hollande ont décidé de réduire progressivement la subvention allouée par l’Etat à l’EPRUS. Celle-ci a alors été divisée par dix entre 2007 et 2015, comme le montre le tableau ci-dessous.

La gestion calamiteuse du gouvernement en amont du COVID-19

À cela, il faut ajouter une très mauvaise anticipation de l’épidémie de COVID-19 par le gouvernement actuel. En effet, deux jours après le début de l’épidémie en France, à la fin janvier la désormais ex-ministre de la Santé, Agnès Buzyn déclarait : « Aujourd’hui, il n’y a aucune indication à acheter des masques pour la population française, nous avons des dizaines de millions de masques en stock. En cas d’épidémie, ce sont des choses qui sont d’ores et déjà programmées. ». D’après les déclarations d’Olivier Véran à l’Assemblée Nationale le 3 mars dernier, oui, il existe un stock de 145 millions de masques…. Mais ce sont des masques chirurgicaux, et non pas des masques FFP2 ! Or, ces masques sont a priori complètement inefficace contre la contamination :
« Au cabinet, on n’a quasiment plus de masques de type FFP2. Les masques chirurgicaux sont disponibles, mais ce sont des passoires. On est deux médecins contaminés sur cinq, je suis positif depuis lundi. Et l’une des deux remplaçantes est en train de se faire tester.
Le combat va se terminer faute de combattants », témoigne le médecin généraliste Jean-Paul Hamon, installé à Clamart (Hauts-de-Seine) et président de la Fédération des médecins de France [5]. Ce n’est qu’à la fin du mois de février que le gouvernement passera alors commande de 200 millions de masques. Un mois a donc été perdu, face à une épidémie où chaque minute compte. De plus, la fabrication de ces masques est fortement perturbée. D’une part, car l’industrie chinoise tourne au ralenti en raison de l’épidémie. D’autre part, car les quatre uniques PME françaises qui fabriquent ces masques étaient dans un premier temps occupé à…. fabriquer des maques pour d’autres pays ! En effet, en raison du temps de réaction beaucoup trop long des autorités françaises, d’autres pays tels que la Grande-Bretagne par exemple, ont passé commande auprès de ces entreprises avant la France… Depuis, un décret datant du 3 mars ordonne la réquisition de l’ensemble des stocks et productions sur le territoire national[6].

Grève des soignants pendant près d’un an : erreur 404

Triste coïncidence, il y a un an quasiment jour pour jour, démarrait une grève de 11 mois à l’hôpital public. Les demandes des soignants ont été tout bonnement ignoré par le gouvernement. La dernière action forte fût, en décembre dernier, la démission de leur fonction administrative de milliers de chefs de services[8]. Depuis mars 2018, l’ensemble du personnel hospitalier dénonçait alors l’abandon de l’hôpital public à des logiques de marché et surtout le manque de moyens mis à disposition. En effet, la mise en place de la tarification à l’activité (T2A) mise en place en 2004 puis généralisée sous Nicolas Sarkozy en 2007, revient à une course à la productivité, puisque le patient est assigné dans une catégorie à laquelle on a attribué un tarif (il s’agit d’un coût moyen représenté par les catégories/types de séjour dans ces trente établissements.) [9]. Dans le même temps, le lean-management (consistant à fonctionner en flux-tendu, en diminuant les stocks et les coûts), développé par l’industriel automobile Toyota, s’est imposé à l’hôpital. Les soignants avaient donc l’obligation de soigner plus de patients, plus vite avec de moins en moins de matériel et de personnel. De nombreuses manifestations ont eu lieu pendant un an, et et elles ont été durement réprimées[10]. En août 2018, Estelle Voisin, infirmière au Urgences de l’hôpital de Montceau-les-Mines (71), faisait un triste état des lieux de l’hôpital public pour L’Escargot. Elle nous expliquait que cela fait effectivement une dizaine d’années, que le nombre de soignants, de lits et d’heures allouées au soin sont réduits pour améliorer la rentabilité du secteur médical. Une logique qui s’est accélérée ces dernières années, et que l’on retrouve dans d’autres pays européens fortement touchés par le COVID-19 tels que l’Italie ou l’Espagne. Loin d’être une pure coïncidence, ces plans de coupe dans la dépense hospitalière répondent à une logique néolibérale de restrictions budgétaires imposées par l’Union européenne depuis la crise des Subprimes de 2008. Dire que la catastrophe sanitaire en cours aurait été évitée si le gouvernement avait daigné répondre aux blouses blanches, est un mensonge. Affirmer qu’on aurait limité les dégâts est une évidence. À voir ou à revoir, l’interview d’Estelle, infirmière urgentiste à l’hôpital de Montceau-les-Mines réalisée en Août 2018.